L’Ironie du sort de Didier da Silva

vendredi 7 mars 2014, par Franck Garot

J’ai lu L’Ironie du sort de Didier da Silva, et je ne le regrette pas.

Chevillard
Un peu à la manière d’un Éric Chevillard, L’Ironie du sort de Didier da Silva part d’une idée que l’auteur développe jusqu’à la limite. À l’inverse d’un Éric Chevillard, il ne base pas sa démonstration par l’élimination (Orang-outan, Désiré Nisard...) mais en construisant. Il serait même plus juste de dire qu’il tisse. Son idée est de relier entre eux des hommes, des œuvres, des événements par toutes sortes de moyens (date, lieu, nom...) pour produire un « système » cohérent. Ce système, proche d’un système nerveux, serait comme une grille de lecture du cerveau de l’auteur, sa personnalité, sa singularité.

Huysmans
J’ai donc eu très peur en commençant la lecture de L’Ironie du sort. Des dates, des lieux, des personnages s’enchaînent, les liens sont tenus. J’ai cru lire comme un catalogue de références culturelles, historiques. J’ai tout de suite pensé à l’œuvre de Joris-Karl Huysmans, À rebours. Et pour moi, ce n’est pas bon signe. Je n’ai jamais pu finir cet étalage de culture, d’érudition cynique. Honte à moi, je sais, de n’avoir pas goûté le chef-d’œuvre d’Huysmans. Mais, malgré tout, je n’ai pas pu arrêter la lecture de L’Ironie, quelque chose dans le style m’était familier, qui devenait plus visible sur la longueur. C’est Ravel qui m’a donné la réponse.

Echenoz
En effet, Didier da Silva décrit chaque fil de son canevas. Il nous parle ainsi de la création des Vexations de Satie à New York, de la vie de Ryōkan... Il lui faut donc raconter, « romancer » comme l’a fait Jean Echenoz avec Ravel, ou avec Zátopek dans Courir. Et Didier da Silva le fait avec le même souci de légèreté du style et d’humour (il s’adresse parfois au lecteur pour un clin d’œil). J’ai trouvé qu’en avançant dans la lecture, l’auteur consacrait plus de temps à chacun, et son idée de départ prenait vraiment corps dans la deuxième moitié du livre.

Limite du système
Comme l’a remarqué Claro en relevant l’un des passages clé du livre (en termes de critique littéraire, je ne lis que le Clavier cannibale, ou le feuilleton de Chevillard quand je tombe sur le Monde des livres), le système perd de sa pertinence si on l’étend trop, qu’il faut savoir s’arrêter car on pourrait ainsi continuer le jeu des liens à l’infini. Je suis certain que Didier da Silva aurait pu ajouter d’autres cinéastes, d’autres musiciens, d’autres écrivains, sa culture est grande (je vous conseille ses blogs Les idées heureuses et Halte là). Mais il a su limiter son livre à l’essentiel de ses obsessions.

Chacun son système
Chaque écrivain pourrait s’amuser à écrire son Ironie. Dans mon système, par exemple, j’aurais aussi parlé de Satie, évidemment, mais il m’aurait fallu ajouter le Velvet Underground. Au moment de décrire la création posthume des Vexations de Satie, j’aurais précisé que John Cale faisait partie des pianistes recrutés par John Cage, lequel Cale fonda le Velvet Underground avec Lou Reed et qu’il utilisa un piano préparé pour enregistrer All tomorrow’s parties, en sachant que John Cage utilisait lui aussi des pianos préparés, tout comme Satie (encore lui) pour les intermèdes musicaux de sa pièce Le Piège de Méduse. En tout cas, je n’aurais jamais écrit : une sorte de légende bretonne, Satie était né à Honfleur (page 17), je suis moi-même né à Honfleur et, à ma connaissance, Honfleur est situé en Normandie. J’aurais comme Didier da Silva parlé de haïku, mais j’aurais préféré Issa à Ryōkan.

C’est la force de L’Ironie du sort, que de demander au lecteur : et toi, quel est ton système ? qui es-tu ?


L’Ironie du sort de Didier da Silva, L’Arbre vengeur, 160 pages, 10 euros.

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