Patti Smith : Une vengeance 2/2

lundi 30 septembre 2013, par Franck Garot

(première partie ici)

Elle s’arrête. Elle souhaite sûrement clore le sujet.
– Pourtant, il a parlé de vous dans une interview…
Soudain, elle quitte le ton neutre, posé, vaguement nostalgique pour redevenir la Patti critique de rock, dont la plume faisait rougir les demoiselles avec son langage de charretier.
– Qu’est-ce qu’il a dit ce fils de pute ?
– Pas grand-chose en fait. Juste que vous étiez amis.
– Il manque pas d’air ! Je vais vous raconter la suite. Il s’était sûrement renseigné sur moi ce connard : il connaissait ma passion pour Rimbaud. Il m’a fait le grand jeu, m’a dit qu’il était français, qu’il venait de Charleville. Alors j’ai accepté de boire un coup avec lui. On a descendu quelques tequilas à côté, au El Quixote. Et là, il me décrit la ville de Rimbaud, l’atmosphère poétique qui s’en dégage, etc. Bien sûr, tout était faux, je l’ai su en y allant plus tard. Mais à l’époque, je buvais ses paroles au même rythme que la tequila. Il a enchaîné avec Baudelaire en déclarant qu’il était aussi grand comme critique que comme poète. J’étais aux anges. Je rencontrais un mec qui s’intéressait à mes idoles. Je mouillais comme pas possible. On aurait pu remplir un verre rien qu’en essorant ma culotte. J’avais envie de lui, tout de suite. Je lui propose de venir voir mes livres de poésie française au loft. La porte refermée, on s’est jeté l’un sur l’autre comme des bêtes. Ce con n’a même pas eu le temps de se désaper qu’il avait déjà déchargé dans son froc ! Avec tout ce que je m’étais enfilé comme verres, j’étais plutôt gaie. Et je suis partie dans un fou rire. Il a été vexé, il est devenu furax même, et il s’est cassé direct.

Son récit me met un peu mal à l’aise. Je ne m’attendais pas à ça. Heureusement, elle continue sans que j’aie besoin d’articuler un mot.
– Le problème, c’est qu’ensuite il est allé baver que j’étais une pute, qu’il m’avait baisée comme une chienne. J’ai raconté à Robert ce qui s’était réellement passé. Pourtant pas violent, il voulait lui casser la gueule. J’ai réussi à l’en dissuader. Mais croyez-moi, ce bâtard de Lou Dark est devenu triquard au Chelsea, comme au Max’s. Je ne sais pas s’il a rencontré Lou Reed, ou aucun autre des membres du Velvet. J’ai entendu parler de lui, comme tout le monde, mais je ne l’ai plus jamais croisé.

À ma question concernant sa nationalité :
– Non, je ne pense pas qu’il soit français. Il parlait avec un accent qu’il voulait faire passer comme français, mais c’était de la mauvaise caricature. Je ne pense pas qu’il soit américain non plus. New York est une ville cosmopolite, vous savez.
L’entretien s’achève, elle doit partir pour République. Avant de se lever, elle s’inquiète :
– Dites, vous n’allez pas parler de cet épisode dans votre bouquin ?
Je mens comme je peux, mal. Elle le comprend et, plutôt que de se fâcher, me quitte dans un sourire. Peut-être finalement a-t-elle retiré cette histoire de son autobiographie à regret et jubile en pensant qu’un autre dira à sa place que Lou Dark est un éjaculateur précoce.

Je reste encore quelques minutes dans le salon, jusqu’à sa fermeture. Une serveuse renverse les chaises sur les tables bistrot. Je me demande comment Patti Smith aurait parlé de sa rencontre avec Dark avec son style Just kids. J’élabore un « Je rencontrai le rocker Lou Dark au Chelsea fin 1970, nous eûmes de longues discussions au sujet des poètes français. Nous aurions pu à un moment avoir une relation intime. Mais il était trop émotif. »


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