Joachim Séné, moine copiste

lundi 11 avril 2016, par Franck Garot

Je ne présente plus mon compère Joachim. Cependant il me semble important de parler de ses nuits.

Écrivain, travailleur précaire

Le métier d’écrivain est précaire. Quelques-uns, très peu nombreux, vivent des ventes de leurs livres, de leurs à-valoir, de leurs préfaces, voire de leurs prix. Je parle ici des têtes de gondole, des auteurs de best-sellers. Mais la grande majorité ne peut se le permettre et doit trouver une rémunération secondaire, enfin, le plus souvent principale. On compte ainsi beaucoup d’écrivains profs ou bibliothécaires. Jérôme Lindon, l’illustre éditeur de Minuit avait conseillé à Jean Echenoz, malgré un joli succès de préserver son travail alimentaire. L’écrivain prendra finalement la décision de se consacrer à l’écriture après l’obtention du prix Médicis pour Cherokee. Je ne résiste pas à l’envie de vous mettre un peu d’Echenoz ici [1] :

Jérôme Lindon trouve cela risqué mais tant pis, je tente le coup : j’abandonne mon travail de la place d’Italie puisque mon livre m’a rapporté un peu d’argent, que j’ose espérer que ça pourra peut-être continuer et que, de toute façon, je n’ai pas envie de faire quoi que ce soit d’autre dans la vie.

Quelques fous cependant ont décidé de ne vivre que grâce à leur plume, en espérant un succès, un prix prestigieux, une adaptation au cinéma, ou simplement parce que l’écriture est, comme pour Echenoz, le projet de leur vie. Et ils rament. Beaucoup. Ils enchaînent les ateliers d’écriture, les salons littéraires, les séminaires, les traductions (pas souvent littéraires), les réécritures, les comptes rendus d’assemblées générales, les interventions dans les écoles, les résidences d’auteur (où bien souvent les conjoints sont exclus, et pratiquement toujours les enfants), les jurys de concours... Bien entendu, toutes ces activités, si on ajoute les voyages, et tous les problèmes administratifs (pour se faire payer, pour payer les cotisations sociales), prennent finalement la majorité de leur temps, les empêchant, ironie du sort, d’écrire.

Parmi ces fous, on compte Joachim qui, après avoir créé rature.net, doit trouver des revenus pour, comme tout le monde, faire les courses, payer les factures, vivre en somme. Il tente avec ses nuits une expérience, sinon inédite, du moins intéressante.

Du clavier au stylo

Joachim est un homme du numérique. Ses projets littéraires passent toujours par le net. Par exemple, C’était a été écrit pour le Convoi des Glossolales avant sa publication en ebook puis en livre papier. Et pour s’en convaincre, il suffit de visiter ses Fragments, chutes et conséquences.

Depuis février 2015, il publie dans sa rubrique Nuits des textes écrits pendant la nuit. Ces textes, comme le rappelle François Bon dans son 4e service de presse [2] ne sont offerts à la lecture des internautes que la nuit. Si vous passez la journée, vous pouvez obtenir ce message :

Désolé, la nuit n’est pas encore tombée ici et les Nuits sont désormais illisibles de jour...

Revenez dans deux ou trois heures.

En janvier 2016, il décide de vendre ses nuits [3]. Ainsi, chacun peut commander un texte spécifique ou laisser l’auteur choisir une « Nuit surprise », et le texte est écrit à la main, envoyé avec photo(s) et petit mot dans un carton de couleur. L’envoi coûte 25 euros, une façon intelligente de financer son travail d’écrivain. Voici ma nuit surprise, la 60, suivie de ma lecture.

nuit, 60

Nuit 60 de Joachim Séné


Photo extraite d’une vidéo temporaire de JS sur periscope.


[1Extrait de Jérôme Lindon de Jean Echenoz, éditions de Minuit, 2001, page 32.

[2à partir de 14’12

[3Voir son article Nuit à la demande où il explique cela

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