Prix Libraires en Seine 2014

mercredi 9 avril 2014, par Franck Garot

Le Prix Libraires en Seine est organisé par une association d’une douzaine de librairies indépendantes de l’ouest parisien. Les clients-lecteurs de ces librairies s’engagent à lire les 6 livres sélectionnés par leurs libraires et votent librement pour leur préféré (de livre, pas de libraire), jusqu’au 30 avril. La remise du prix aura lieu le 22 mai. L’an dernier, pour sa première édition, le prix avait couronné Arrive un vagabond de Robert Goolrick. Vu que mon employeur a la gentillesse de me libérer du temps, j’ai lu les 6 livres. Voici ce que j’en pense, dans l’ordre de lecture, avec mon vote à la fin.

La Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson
Ce livre se veut la lettre qu’un vieil homme au seuil de la mort adresse à l’amour de sa vie, un amour adultère. Ce n’est pas seulement une lettre d’amour à une femme. Mais aussi à un pays, l’Islande, et à son peuple, ses légendes, une époque, et sûrement à une langue (il faudrait demander à la traductrice Catherine Eyjólfsson qui, notons-le, a fait du très bon boulot). L’auteur utilise un style à la fois rustique (c’est un paysan qui parle) et poétique pour nous faire comprendre des sentiments complexes (la passion, le devoir, le choix). On se laisse emporter dans le grand nord, doucement, en observant un monde disparu où la nature, à la fois nourricière et rude, parfois dangereuse, n’était pas qu’un paysage pour illustrer des cartes postales ou des documentaires télévisés. Au final, lire la Lettre à Helga, c’est un peu comme se tenir debout en haut d’une falaise, face à la mer, un vent humide et puissant dans la tronche, en écoutant Heima de Sigur Rós, bref, une bouffée d’un air frais et mélancolique.

Kinderzimmer de Valentine Goby
Ce roman nous raconte l’enfer d’un camp de concentration pour femmes, à la fin de la seconde guerre mondiale, vécu par une jeune résistante enceinte. Elle cache sa grossesse puis accouche dans le camp. Le style de l’auteur est impeccable, et implacable. Aucune concession à l’horreur, rien n’est épargné au lecteur : la peur, la maladie, les morts. On reste incrédule devant le combat pour survivre, l’espoir tenace qui tient en vie, la solidarité entre les prisonnières. La réussite de l’auteur est d’arriver à retenir le lecteur, de ne pas le perdre à cause du sujet, lourd, presque insupportable, un lecteur qui pourrait jeter l’éponge devant la noirceur de cette histoire. Ce tour de force vient de son style, une langue singulière qui cherche et trouve la lumière (l’espoir, l’enfant, les petites victoires quotidiennes avec les vols, les ruses). Alors, comme l’héroïne de son roman, utilisons le code basé sur des notes de musique (do pour la lettre a, do# pour b, pour c, etc.), pour jouer un grand merci à Valentine Goby : do mi fa sol#.

Faillir être flingué de Celine Minard
Soyons franc, je n’avais pas été emballé du tout par le début de ce roman lu dans le numéro spécial rentrée littéraire 2013 des Inrocks. Mais comme je me suis engagé à les lire tous, je lui ai laissé une seconde chance. Tout d’abord, ce roman est un western. On suit, tel un roman choral, plusieurs personnages qui se retrouvent dans la même ville. Un peu perdu au début, à cause du nombre de personnages, mais pas seulement (certains ont plusieurs noms selon que l’on utilise leur patronyme ou leur nom indien), on prend le rythme de croisière au fur et à mesure qu’ils évoluent, et on est emporté vers le far west, pas un far west de gentils cow-boys et tuniques bleues contre de méchants indiens, c’est un far west des pionniers, avec des personnages troubles, une milice, de la magie, d’inquiétants Chinois. L’auteur réussit son pari avec la seconde partie du livre : on ne lâche plus le roman et on le referme en se rappelant du « The End » qu’on voyait, gamin, à la fin des westerns diffusés à la TV (le mardi soir sur FR3), les yeux pétillants, avant d’aller se coucher en faisant les wou-wou-wou-wou des Indiens.

Petites scènes capitales de Sylvie Germain
Sylvie Germain écrit très bien, étonnant qu’elle n’ait pas déjà reçu le Grand Prix de l’Académie française parmi ses nombreuses récompenses. Elle utilise un vocabulaire riche et précis, et manie toutes les figures de style, un véritable catalogue. Voilà. Sauf qu’on fait une overdose d’oxymores, qu’au bout d’un moment, quand un truc est bleu, j’aime bien lire que le truc est bleu, pas turquoise, pas indigo, etc. Le style m’a fait pensé à l’époque où je faisais les concours de nouvelles : dans certains d’entre eux, un jury de vieilles dames primait ce genre de textes écrits à la naphtaline par de vieilles dames. Et qu’on ne me taxe pas d’anti-vieux : je considère Annie Saumont, 87 ans au compteur, comme la plus jeune de nos nouvellistes. Bref, en plus du style, Sylvie Germain afflige ses personnages de tous les malheurs (maladie, mort, et mention spéciale pour le bébé sans bras ni jambes), des personnages tout ce qu’il y a de plus normaux, hein : la fille danseuse qui travaille avec Pina Bausch, la grande sœur grande violoncelliste, le frère acteur, la mère mannequin... la famille typique, quoi. Et à chaque fois que cela devient intéressant, (le garçon serait gay, le père se taperait sa belle-fille) eh bien la morale est sauve : méprise, le fils aime finalement Jésus, il veut entrer dans les ordres, ouf ! et le père était tellement bourré qu’il bandait mou, pas d’inceste ! On a eu peur... Mais quel ennui ! Enfin, il arrive que l’auteur se prenne les pieds dans le tapis. Le passage de la révélation du mysticisme de Paul, où elle file la métaphore non pas avec un fil de coton mais une corde d’amarrage, où elle s’y vautre même : la phrase scandée (elle aime bien le verbe scander) de virgules et de points. Hum. Pour moi, une phrase scandée de points, ce n’est plus une phrase, mais un paragraphe. J’ai pris sur moi pour finir ce roman, vraiment.

Pietra viva de Léonor de Récondo
Michelangelo qui a déjà sculpté sa Pietà et son David, est chargé par le pape de lui préparer son tombeau. Le sculpteur se rend dans un village près d’une carrière pour choisir lui-même les blocs de marbre. Pendant tout son séjour à Carrare, le souvenir de sa mère vient le hanter, via les cinq sens, ainsi que celui d’un moine qui vient de mourir et dont il était éperdument et platoniquement amoureux. L’auteur aborde donc des sujets aussi vastes que l’absence d’une mère disparue jeune, l’homosexualité, Dieu, l’art. Elle le fait dans un style à la fois simple et précis, où les rêves jouent un rôle de catalyseur, tout comme cet enfant qui réussit à rendre l’artiste meilleur, humain. On aimerait rester davantage avec ce maître de la sculpture tant le style de Léonor de Récondo arrive à nous révéler, tout en subtilité, la complexité de ses sentiments, son combat intérieur, à la limite de la folie.

Le Tango de la vieille garde d’Arturo Pérez-Reverte
Ce roman commence dans les années 20 avec Max, un danseur mondain, qui s’occupe (parfois très intimement) des femmes sur un transatlantique. Il rencontre un couple : lui musicien reconnu et célébré, elle belle et excellente danseuse. Le mari a parié avec Ravel qu’il pouvait écrire un tango aussi parfait que son boléro. Le trio se retrouve dans les quartiers chauds de Buenos Aires pour découvrir le tango des origines. Ensuite, Max couche avec la femme, ça se complique, on retrouve Max à Nice pour une sombre histoire d’espionnage, puis 30 ans plus tard à Sorrente en Italie lors d’un tournoi d’échecs où il croit reconnaître la belle danseuse. Vous l’avez compris, il se passe beaucoup de choses dans ce roman, qui ferait un bon scenario pour un film d’espionnage romantique plaisant. Mais je ne m’y retrouve pas comme lecteur. Et il faut l’avouer, ce genre de livres, c’est pas ma came. En outre, la fin avec la partie d’échecs, le KGB, le baroud d’honneur qui ne trompe personne, je n’y crois pas une seconde.

And my winner is...
Parce que l’auteur a apporté autant de soin à l’histoire qu’à son style, parce que j’aime beaucoup la musique de son écriture, j’ai voté pour Kinderzimmer de Valentine Goby.


La Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson, Zulma, 144 pages, 16,50 €
Kinderzimmer de Valentine Goby, Actes Sud, 224 pages, 20 €
Faillir être flingué de Celine Minard, Rivages, 336 pages, 20 €
Petites scènes capitales de Sylvie Germain, Albin Michel, 256 pages, 19 €
Pietra viva de Léonor de Récondo, Sabine Wespieser éditeur, 240 pages, 20 €
Le Tango de la vieille garde d’Arturo Pérez-Reverte, Seuil, 544 pages, 22 €

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